Monastère des dominicaines de Lourdes

 

Les manières de prier de saint Dominique

 

 

les neufs manières de prier de saint Dominique
MS Rossi 3
Traduction par sœur Marie-Véronique Nicolas, o.p.


Avec d’autres docteurs grecs et latins, tout remplis de dévotion, les saints docteurs Augustin, Ambroise, Grégoire, Jean Chrysostome, Jean Damascène et Bernard, ont très longuement parlé de la prière, la recommandant, la décrivant, en présentant la nécessité, l’utilité, le mode, la préparation, de même que les difficultés. Mais, de plus, le frère Thomas d’Aquin, docteur vénérable et glorieux, avec Albert et Guillaume, de l’Ordre des Prêcheurs, traitant des vertus dans leurs livres, ont étudié avec noblesse, très dévotement et magnifiquement, cette manière de faire oraison : l’âme y met à son service les membres du corps, pour s’élever vers Dieu avec plus de ferveur : l’âme animant le corps est ainsi excitée par le corps, entrant parfois en extase, comme Paul, ou parfois ravie en esprit, comme David le prophète. Il nous faut ici parler de cette manière de prier, que le bienheureux Dominique employait fréquemment.
Les saints de l’Ancien et du Nouveau Testament ont, en effet, prié parfois de la sorte. Ce mode de prière porte l’âme en effet à produire la dévotion dans le corps, et réciproquement le corps y excite l’âme ; par là, saint Dominique en venait à verser d’abondantes larmes, et sa volonté s’enflammait de ferveur, au point que les membres de son corps exprimaient par des signes sûrs la dévotion que son esprit ne pouvait enfermer. Ainsi la violence de sa prière jaillissait-elle parfois en supplication, en demande, en action de grâces.
Voici quelles étaient ces manières de prier, sans parler de ses comportements si pieux et ordinaires dans la célébration de la messe, dans le chant des psaumes où on le voyait ravi soudain à lui-même et s’entretenant avec Dieu et les anges, soit à l’office canonial soit dans le chœur, soit en voyage.

Première manière de prier

la première consistait à s’humilier devant l’autel, comme si le Christ, représenté par l’autel, y demeurait dans une présence personnelle, selon la parole du livre de Judith : « Tu te complais toujours dans la prière des hommes humbles et doux » (Jt 9, 16) (car par l’humilité la Cananéenne fut exaucée, de même que le Fils prodigue). Il disait : « Je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit » (Mt 8, 8) et : « Seigneur, humilie fortement mon esprit » car, « Seigneur, devant toi, je me suis entièrement humilié » (Ps 146, 6 ; 118, 107).
Et ainsi le saint Père, debout, inclinait sa tête, considérant humblement son Seigneur le Christ, et méditant l’humilité de sa condition en face de la grandeur du Christ se livrant tout entier à l’hommage. Il recommandait aux frères de faire ainsi, quand ils passaient devant un crucifix, pour que le Christ nous voie humiliés devant sa Majesté, au lieu où il s’est le plus abaissé pour nous.
Il demandait ainsi aux frères de s’humilier devant la Trinité, au moment du « Gloire au Père » dit solennellement. Et cette manière, la première de sa dévotion, consistait à incliner profondément la tête.

Deuxième manière de prier

Souvent, aussi, le bienheureux Dominique se prosternait entièrement par terre, le visage contre le sol. Son cœur était rempli de componction, il avait honte de lui-même, disant parfois, à voix assez haute pour être entendue, cette parole de l’évangile : « Dieu, prends pitié de moi, pécheur » (Lc 18, 13), et il se redisait avec crainte et avec respect, la parole de David : « C’est moi qui ai péché, qui ai fait le mal » (Ps 50, 5), et encore : « Je ne suis pas digne de voir le Ciel, à cause de mes nombreux péchés, car j’ai excité ta colère et j’ai fait le mal devant ta Face ». Et il pleurait en tremblant. Et il citait le psaume : « Dieu, nous avons entendu de nos oreilles », en prononçant avec véhémence et piété : « Notre âme s’est effondrée dans la poussière, notre ventre colle à la terre » (Ps 43, 26), et : « Notre âme s’est effondrée dans la poussière, notre ventre colle à la terre » et « Mon âme est attachée au sol ; vivifie-moi ! » (Ps 118, 25).
Il désirait, parfois, enseigner aux frères avec quelle révérence ils devaient prier, et leur disait : « Les mages, ces rois pieux, à leur entrée dans la maison, trouvèrent l’Enfant avec Marie sa mère ; et se prosternant, il l’adorèrent (Mt 2, 11). Pour nous, il est sûr que nous retrouvons l’Homme-Dieu avec Marie sa servante. Venez, adorons et prosternons-nous devant le Dieu qui nous a faits » (Ps 94, 6).
Il parlait ainsi aux plus jeunes : « Si vous ne pouvez pleurer vos péchés, parce que vous n’en avez pas, beaucoup de pécheurs peuvent recevoir la miséricorde et la charité ; c’est pour eux que les prophètes et les apôtres ont gémi ; c’est pour eux qu’a pleuré Jésus ; sur eux que le saint roi David a pleuré aussi, disant : « J’ai vu les pécheurs, et je me suis desséché de chagrin » (Ps 118, 158).

Troisième manière de prier

Pour cette même raison, il se relevait et recevait la discipline avec une chaîne de fer, en disant : « Ta discipline m’a corrigé totalement » (Ps 18, 36). À cause de cela, l’Ordre a statué que, pour suivre l’exemple de saint Dominique, tous les frères en prière, récitant soit « Miserere mei, Deus », soit « De profundis », recevraient la discipline, après complies, tous les jours de férie, avec des verges de bois sur le dos nu, soit pour leurs péchés personnels, soit pour ceux dont les aumônes leur permettent de vivre. De là, personne ne doit se soustraire à ce saint exemple, aussi innocent soit-il.

Quatrième manière de prier

Après cela, saint Dominique, fixant son regard sur le crucifix, à l’autel, ou au chapitre, le contemplait avec une grande attention, tout en multipliant les génuflexions.
Parfois, depuis la fin des complies jusqu’à minuit, il s’agenouillait et se relevait sans cesse, comme l’apôtre Jacques, comme le lépreux de l’évangile, disant à genoux : « Seigneur, si tu veux, tu peux me guérir » (Mt 8, 2), et comme Étienne à genoux, s’écriant à haute voix : « Ne leur tiens pas compte de ce péché » (Ac 7, 59). Alors, le saint Père sentait en lui monter une immense confiance en la miséricorde de Dieu, pour lui-même, pour tous les pécheurs, et pour la protection des frères novices qu’il envoyait en prédication. Et parfois il ne pouvait pas maîtriser sa voix, mais les frères l’entendaient crier : « Seigneur, je crierai vers Toi, ne reste pas silencieux, ne sois pas muet envers moi » (Ps 27, 1), etc. Il disait encore d’autres paroles semblables de l’Écriture.
Parfois il parlait en son cœur, sa voix était à peine perceptible ; il se reposait de sa génuflexion, très longuement, l’esprit tout stupéfait. Quelquefois, à l’expression de son regard, il semblait que son esprit était entré jusqu’au ciel, et il rayonnait d’une grande joie, il essuyait les larmes qui l’inondaient.
Il éprouvait un immense sentiment de désir, comme celui qui a soif près d’une source, ou le voyageur proche de sa patrie. Alors ses mouvements devenaient plus vifs, augmentaient d’ardeur et d’efficacité, quand il reprenait ses génuflexions et ses relèvements, avec mesure et agilité.
Il était si accoutumé à ses génuflexions qu’il y revenait toujours, en voyage ou dans les auberges, après les fatigues du chemin, comme à son œuvre personnelle, et son ministère particulier. Et par ce moyen, il instruisait les frères par l’exemple plus que par les paroles.

Cinquième manière de prier

Quand il restait au couvent, le saint Père Dominique se présentait parfois devant l’autel le corps bien droit sur ses pieds, sans appui ni attache, tenant ses mains étendues devant lui à la façon d’un livre ouvert.
Ainsi était-il debout, comme s’il lisait devant Dieu, avec révérence et dévotion. Alors il semblait plongé dans la méditation des paroles de Dieu, comme se les redisant à lui-même avec douceur.
Il s’était habitué à ce comportement du Seigneur, en effet, qu’on lit en Luc : « Jésus entra dans la synagogue, selon son habitude (un jour de sabbat) et il se leva pour lire » (Lc 4, 16) ; et le psaume dit : « Phinées se leva, se mit en prière, et le malheur s’arrêta » (Ps 105, 30).
Quelquefois, il joignait les mains, les gardant étendues devant les yeux, en se concentrant ; d’autres fois, il les élevait jusqu’aux épaules, à la façon du prêtre célébrant la messe ; il paraissait tendre l’oreille, comme s’il désirait mieux entendre quelque parole venant de l’autel. À ce moment, si on voyait sa ferveur, ainsi dressé et faisant oraison, on aurait cru voir un prophète, tantôt conversant avec Dieu ou avec un ange, tantôt l’écoutant, ou encore méditant en silence ce qui venait de lui être révélé.
S’il arrivait qu’il soit en voyage, il était secrètement inspiré au temps de la prière, et soudain se tournait de toute son âme vers le ciel. Alors on aurait pu l’entendre parler avec une grande douceur et une grande application, prononçant quelque suave parole « de la moelle et de la graisse » de l’Écriture, comme l’ayant puisée aux « Sources du Sauveur ». Par son exemple, les frères étaient stimulés, voyant ainsi leur Père et leur maître. Par sa ferveur ils étaient enseignés à prier parfaitement, avec révérence et sans cesse, « comme les yeux d’une servante sur les mains de leur maîtresse, et les yeux des serviteurs sur les mains de leurs maîtres » (Ps 122, 2).

Sixième manière de prier

On peut voir encore le saint Père Dominique prier, debout, aussi dressé qu’il le pouvait, tenant les bras et les pains extrêmement étendus en forme de croix. Il pria ainsi quand Dieu ressuscita le jeune Napoléon, à Rome, à Saint-Sixte, dans la sacristie ; il pria ainsi, dans l’église, en célébrant la messe, quand il fut élevé de terre, (selon le récit de la sainte et dévote sainte Cécile, qui le vit de ses yeux avec toute la multitude). Élie, de même, ressuscita le fils de la veuve en s’étendant sur l’enfant et en s’ajustant à lui (3 R 17, 21).
Il pria de cette façon quand, près de Toulouse, il sauva les pèlerins d’Angleterre, en danger d’être noyés. C’est ainsi que pria le Seigneur pendu à la croix, les bras et les mains étendus, et avec un grand cri et dans les larmes ; « il fut exaucé en raison de son obéissance » (He 5, 7). Saint Dominique n’employait pas souvent cette façon de prier, mais seulement quand il recevait, par inspiration de Dieu, la connaissance d’un événement éminent, grand et merveilleux, comme dans la ferveur de l’oraison. Il n’empêchait pas les frères de le faire, mais ne les y encourageait pas.
Pour la résurrection de cet enfant, nous ne savons pas ce qu’il dit, debout, les bras et les mains étendues en forme de croix. Ce fut peut-être cette parole d’Élie : « Seigneur mon Dieu, je t’en supplie, fais revenir dans son corps l’âme de cet enfant » (3 R 17, 21).
Les personnes attentive à la prière se rappelaient cette manière, mais personne ne peut se souvenir de ce qu’il dit, ni les frères, ni les sœurs, ni les seigneurs cardinaux, ni aucun de ceux qui assistaient à cette attitude inhabituelle et admirable. Par la suite, ils ne purent l’interroger, car ce grand Dominique s’était manifesté, lors de ce miracle, de telle sorte qu’ils étaient remplis de crainte et de respect.
Il prononçait les paroles du psaume qui font mention de cette manière de prier, avec gravité, lenteur et application, disant : « Seigneur, Dieu de mon salut, j’ai crié devant toi nuit et jour » et la suite, jusqu’à la fin (Ps 87, 2-10). Et encore : « Seigneur, écoute ma prière, prête l’oreille à ma supplication », jusqu’à « J’ai tendu les mains vers toi… vite, viens m’exaucer » (Ps 142, 1-6).
Ainsi toute personne pieuse pourra comprendre la prière et l’enseignement de ce saint Père quand il priait de cette façon : il voulait toucher Dieu par la vertu de sa prière, ou plutôt il sentait par un mouvement intérieur, que Dieu voulait qu’il demande une grâce particulière, soit pour lui-même, soit pour un autre ; il sera touché par l’enseignement de David, par le « feu » d’Élie, par la charité du Christ, et par la dévotion qu’avait Dominique.

Septième manière de prier

En outre, on le trouvait souvent tendu tout entier vers le ciel, comme un flèche qu’un arc bien tendu projette en l’air ; ses mains étaient élevées au-dessus de sa tête, jointes ou tendues tour à tour, ou encore un peu recourbées comme pour recevoir quelque chose du ciel.
Il semble qu’alors la grâce en lui s’accroissait, il était ravi en extase, et obtenait de Dieu, pour l’Ordre qu’il avait fondé, les dons de l’Esprit, et la délicieuse saveur des actes des Béatitudes, pour lui et pour ses frères : dans la profonde pauvreté, dans les larmes douloureuses, dans la violente persécution, dans la faim et la soif de la justice, dans la miséricorde inquiète, c’est là que les personnes ferventes se trouvent bienheureuses et sont remplies de joie en obéissant aux observances, et en observant les conseils évangéliques. Alors, le saint Père semblait ravi à lui-même, et entrer dans le Saint des Saints, jusqu’au troisième ciel.
Après cette prière, il se conduisait à la manière d’un prophète, soit pour corriger, soit pour dispenser, soit encore pour prêcher.
Le saint Père ne demeurait pas longtemps dans cette manière de prier, mais il revenait à lui-même, comme venant de loin. Parfois, il paraissait être un étranger, ce qu’on pouvait percevoir d’après son aspect et son comportement.
Dans sa prière, cependant, les frères l’ont parfois entendu redire, comme le prophète : « Écoute, Seigneur, le cri de ma prière quand je te prie, et quand j’élève mes mains vers ton Temple saint » (Ps 27, 2).
Il enseignait tous les frères à prier, par la parole et par l’exemple, citant cette parole du psaume : « Allons, bénissez le Seigneur, vous tous serviteurs du Seigneur » (Ps 133) et le reste, jusqu’à : « Élevez vos mains vers le lieu saint, dans la nuit », et encore : « Seigneur, j’ai crié vers Toi, écoute-moi » et la suite, jusqu’à : « l’élévation de mes mains » (Ps 140, 1-2).

Huitième manière de prier

Le saint Père Dominique priait encore d’une autre façon belle, agréable et fervente. Après les heures canoniales, en effet, et après les actions de grâces faites en général après le repas, le Père, sobre, mais rassasié par l’esprit de dévotion (il l’avait puisé dans les paroles divines chantées au chœur ou au réfectoire), se retirait bientôt dans un lieu solitaire, la cellule ou un autre endroit, pour lire et prier, demeurant avec Dieu et avec lui-même.
Il s’asseyait paisiblement, il ouvrait un livre devant lui, s’étant armé du signe de la croix. Alors il lisait doucement ému en son esprit, comme s’il entendait le Seigneur lui parler, comme dit le psaume : « J’écouterai ce que le Seigneur mon Dieu dit en moi » (Ps 84, 9), etc. Et comme discutant avec un compagnon, en pensée ou en parole, il paraissait tantôt impatient, tantôt paisible, en auditeur qui contesterait et lutterait, tout en riant et aussi en pleurant ; tantôt il fixait le regard à terre, et de nouveau, il parlait silencieusement et se frappait la poitrine.
Si quelque curieux avait voulu l’apercevoir à son insu, le saint Père Dominique lui serait apparu comme Moïse à l’intérieur du désert, quand il était parvenu à l’Horeb, la montagne de Dieu et avait considéré le buisson ardent, entendu le Seigneur parler et, s’humiliant devant Lui, (car ce mont prophétique était bien la montagne de Dieu) — il l’aurait vu s’élever bientôt de la lecture à la prière, de la prière à la méditation, et de la méditation à la contemplation.
Et, dans cette lecture solitaire, il avait coutume de vénérer le livre, il s’inclinait, baisait parfois le livre, surtout si c’était le livre des évangiles, ou s’il lisait des paroles que le Christ avait prononcées. Parfois encore, il se cachait le visage, l’éloignant de son manteau ; ou bien reposait sa tête dans ses mains, ou bien le recouvrait en partie de son capuce. À ce moment-là, il pleurait, tout angoissé, et débordant de désir. Mais encore, il lui arrivait de se relever un peu, en inclinant la tête, comme pour rendre grâces, avec révérence, de faveurs accordées par un haut personnage. Après quoi, tout apaisé et tranquille, il reprenait sa lecture.

Neuvième manière de prier

Il gardait ce comportement en voyageant d’une région à l’autre, surtout en traversant quelque désert ; il se plaisait à méditer et à contempler.
Sur la route, il disait à son compagnon : on lit en Osée : « Je la conduirai au désert, et je parlerai à son cœur » (Os 2, 14). Alors il s’écartait de son compagnon, et le suivant de loin, il priait tout en cheminant, à part lui, et il s’enflammait dans sa méditation.
Dans cette manière de prier, il semblait souvent chasser d’un geste des mouches ou de poussières. Pour cela, il se protégeait souvent par le signe de la croix.
Les frères avaient la certitude qu’en priant ainsi le saint était parvenu jusqu’à une parfaite connaissance de la sainte Écriture, et jusqu’à la moelle des paroles divines ; il avait reçu le pouvoir d’une prédication hardie et fervente, et la grâce de découvrir les choses cachées dans une secrète familiarité avec le Saint Esprit.

 

Haut de la page